Encore calme, le quartier conçu comme une extension de South Beach mêle verdure, luxe et architecture.
Depuis l’autoroute 195, ruban de bitume qui relie South Beach (SoBe), la presqu’île Art déco, à Miami, le regard est attiré par un mur en contrebas sur lequel est dessiné un vortex noir et blanc. Quelques mètres plus loin, une fresque représentant une jungle foisonnante continue d’intriguer dans ce quartier plutôt hostile. Il y a peu, derrière ces façades aveugles, se dressaient des entrepôts délabrés prolongés par une zone résidentielle et Little Haïti, quartier des réfugiés de Port-au-Prince.
Aujourd’hui, si l’on quitte l’autoroute et que l’on plonge dans ce quadrilatère, on y découvre un univers de luxe et de beauté architecturale. Entre les chantiers frénétiques, des terrains vagues enrubannés de bâches bleu-violet annoncent la couleur : bienvenue dans le « Design District ».
Un mall luxueux à ciel ouvert
A ces éléments encore chaotiques succèdent rapidement d’élégantes artères ponctuées de palmiers, cocotiers, pachiras ou acajous. Les voituriers patientent devant les enseignes Céline, Dior, Hermès, Maison Margiela, Vuitton, Jaeger-Lecoultre… Un mall luxueux à ciel ouvert et « à l’européenne », voilà l’idée qui a germé dans la tête du promoteur Craig Robins, en 2000.
A la tête de la société immobilière Dacra, l’homme a d’abord revitalisé la zone Art déco de South Beach à la fin des années 1990. « Ensuite, j’ai eu l’intuition que ce quartier abandonné pourrait prolonger l’esprit de SoBe. J’ai donc racheté des boutiques vides de ce faubourg traditionnellement consacré au meuble et situé entre les plages et l’aéroport », se remémore Craig Robins. Bientôt, des mastodontes comme LVMH le rejoindront dans ce projet un peu fou. « Dans les années 1930 et 1940, Miami était une ville saisonnière », rappelle l’architecte Terry Riley, qui vit à quelques rues et qui a conçu ici le JBL Building, l’un des bâtiments phares du quartier. « Lorsque les estivants fermaient leur maison, ils stockaient leurs meubles dans de vastes entrepôts proches de la plage sur lesquels des boutiques de mobilier sont progressivement venues se greffer. Mais lorsqu’un mall avec air conditionné a ouvert à Fort Lauderdale, le quartier a périclité… »
Bâtiment bleuté du prodige japonais Sou Fujimoto
Rare témoin encore debout de cette époque, le Moore Building est un vaste showroom de meubles construit en 1921. L’architecte Zaha Hadid y a posé sa spectaculaire installation Elastika et l’ICA (Institute of Contemporary Art) où sont proposées des expositions temporaires. « Comme à SoBe, nous adaptons le quartier à notre époque et ne conservons que les immeubles les plus remarquables », explique Craig Robins.
Mais il faut se rendre deux rues plus bas pour découvrir où bat vraiment le cœur du Design District. Palm Court est une place bordée par un magnifique bâtiment bleuté du prodige japonais Sou Fujimoto. « Je l’ai imaginé comme un souk protégé de la pluie et du soleil, deux éléments que j’ai repris comme inspirations pour le jeu de transparence des bleus. »
La construction fait face à un dôme géodésique du grand Buckminster Fuller (1895-1983) et à une sculpture de Xavier Veilhan, deux œuvres cernées par les boutiques Hublot, Piaget ou Bulgari, comme un concentré de l’esprit du Design District… « Tout concevoir à ciel ouvert était un véritable challenge de la part de Craig Robbins. Ici, le concept est encore expérimental alors que le climat s’y prête. Le Design District constitue en ce sens une proposition prospective qui montre comment les villes pourront à l’avenir développer leurs espaces publics », plaide Benjamin Aranda, l’architecte qui a conçu le bâtiment qui domine le Palm Court.
Un laboratoire du XXIe siècle où les immenses navires amiraux des ténors du luxe voient arriver des boutiques plus modestes mais tout à fait respectables avec leur décoration soignée. Les grandes marques ont d’ailleurs vite compris le bénéfice qu’elles pouvaient tirer de ce voisinage bouillonnant… Ici, on flâne dans des rues ombragées par d’immenses plantes tropicales. « Ce sont elles qui font baisser la température au sol, de cinq degrés en moyenne », assure le paysagiste superstar Nathan Browning. « Pour parfaire l’illusion d’un “vrai” quartier, nous avons transporté des arbres adultes de 40-60 ans, qui atteignent plusieurs dizaines de mètres de hauteur. »
La période est idéale pour profiter de ce Design District encore en devenir. Les excellents restaurants à petits prix y succèdent aux boutiques qui rivalisent d’esbroufe dans leurs aménagements intérieurs. On peut aussi encore y trouver d’agréables maisons à louer dans le quartier voisin de Buena Vista East, résidentiel et charmant avec sa végétation luxuriante. Et aller voir la collection de la Cruz, dans le nord du quartier, qui propose sur deux vastes étages la collection d’art contemporain de ce couple de mécènes pourvoyeurs de résidences d’artistes, d’ateliers et de visites privées.
Showrooms Dior, Tiffany’s, Tod’s
On peut également s’échapper pour découvrir la petite église du quartier et le grillage de l’école publique réalisé par le designer Marc Newson. S’il a servi à promouvoir le secteur, certains déplorent que le design devienne de plus en plus un prétexte, et que les enseignes de mobilier cèdent le pas au luxe pur et dur. D’autant que, « pour l’instant, le quartier est plutôt vide, constate un architecte. Un vendeur de montres se plaignait récemment de n’avoir écoulé que trois modèles en deux mois… »
L’ouverture prochaine de showrooms Dior, Tiffany’s, Tod’s et Helmut Lang devrait néanmoins donner de l’élan au Design District et attirer la clientèle sud-américaine que vise en priorité Craig Robins. Lorsqu’il a lancé South Beach, personne ne pariait une once sur ces bas-fonds aujourd’hui devenus une destination culte.