L'époque des gratte-ciel impersonnels peuplant la baie de Miami est bel et bien terminée. La ville du sud de la Floride fait désormais appel à des architectes renommés (Zaha Hadid, Frank Gehry, Jacques Herzog,..) pour dessiner des bâtiments qui se fondent subtilement dans le paysage.
Sous le cuisant soleil tropical, la cité balnéaire se réfugiait au retour de la plage dans ses tours vitrées climatisées, depuis des décennies. Miami empilait ses "appartements frigo" pour touristes et retraités dans des condos de plus en plus hauts pour ne pas perdre la vue sur la baie, devenue le principal critère immobilier d'un urbanisme glacé et désincarné, alvéolé de milliers de balcons brise-soleil. Même les vestiges de vingt ans d'Art déco, 800 bâtiments sauvegardés grâce à l'homérique bataille de Barbara Capitman dans les années 1970, ne parvenant plus à masquer la médiocrité architecturale d'une ville qui n'avait plus le souci d'inscrire la beauté dans ses murs.
Pourtant, au pied des immeubles, dans la moiteur d'une végétation luxuriante et des nuits torrides, la Riviera américaine, porte du monde latino et hôte de la plus grande foire d'art contemporain du continent, Miami Art Basel au mois de décembre, n'a jamais cessé d'attirer dans son chaudron multiculturel immigrants, vacanciers, artistes et jet-setters. Climat idyllique, sable fin, jardin urbain, hôtels de luxe signés Jacques Garcia, Kelly Wearstler, Starck, ou Barton G. Weiss, il manquait pourtant une ambition architecturale à la plus petite des grandes villes américaines pour devenir capitale mondiale.
Et voilà que les plus prestigieuses agences internationales (dont quatre Pritzker Prize !) se bousculent dans les appels d'offres, rivalisant d'imagination pour faire voler en éclat les parois étanches d'une architecture fade et sans style, comme dans la compétition pour le Centre de Congrès -- malheureusement abandonné -- qui a longtemps opposé les mastodontes nordiques BIG et OMA. Une avalanche de projets portés par des millions de dollars d'investissement dessine les contours d'une nouvelle métropole excitante et désirable, où les bâtiments les plus fous poussent en symbiose avec leur environnement, flirtant avec l'eau, les palmiers et le ciel. Symbole de cette utopie urbaine : la SkyRise de l'agence internationale autochtone Arquitectonica, tour d'observation oblongue jaillissant de la baie.
Pour une architecture respirante à Miami
Jacques Herzog et Pierre de Meuron sont les précurseurs de la vague de grands bâtisseurs qui s'est abattue sur Miami. Seuls manquent à l'appel Jean Nouvel et Norman Foster. Même Franck Gehry est là, qui a signé l'opéra et doit restaurer la célèbre tour Bacardi, construite par un collaborateur de Mies van der Rohe en 1963. Les Suisses ont marqué les esprits avec la construction en 2010 d'un parking au 1111 de l'avenue Lincoln à Miami Beach, structure de béton brut entièrement ouverte, montée sur des piliers obliques et effilés, équipement presque vulgaire, symbole de la laideur des villes du XXe siècle, et devenu le lieu le plus hype pour effectuer sa séance de step sur les escaliers centraux ou organiser des soirées branchées, des happenings artistiques et des shootings photos. Après cet étonnant garage, le duo de Bâle a signé le nouveau musée d'art contemporain appelé Pamm (Pérez Art Museum Miami), fin 2013. Un manifeste pour une architecture respirante, signé Jacques Herzog : "Miami est connu pour son district Art déco. Mais en réalité, ce genre consiste à décorer des boîtes sans créer la moindre relation entre l'intérieur et l'extérieur". À l'inverse, le musée sur pilotis, proposition révolutionnaire dans le paysage local, ouvert aux quatre vents, donne l'illusion d'être supporté par des murs végétaux. "Il apparaît fragile, c'est sans doute ce qui fait sa beauté. Il offre un passage progressif de l'extérieur vers l'intérieur, du chaud au frais, de l'humide au sec, de la rue à l'art", complète son associée Christine Binswanger.
De l'autre côté du parc qui accueille le musée (et bientôt un centre scientifique signé Grimshaw Architects ainsi qu'un aménagement de James Corner Field Operations), Zaha Hadid s'apprête à élever une tour futuriste d'habitation de 215 mètres de haut, retournée comme un gant : les lignes de force de son exosquelette semblent couler le long de la façade. Sa structure se fait architecture, forte et fluide à la fois. "Les promoteurs et les autorités ont compris ce que l'architecture pouvait faire pour l'image d'une ville, affirme Chris Lépine, directeur du projet. C'est terminé le temps des ruches à touristes, constructions hâtives et de mauvaise qualité, "dites un prix et topez-là, du moment qu'il y a une vue ça se vendra toujours". Les mentalités ont changé. C'est devenu un endroit à la mode sur la scène internationale, une destination privilégiée pour des retraités aisés, des résidences secondaires et des businessmen tournés vers l'Amérique latine. Miami veut de la qualité et du style. La ville a pris la mesure de son nouveau statut".Le bras droit de Zaha Hadid pour les États-Unis observe avec gourmandise cet engouement pour des architectures audacieuses, qui fait de Miami un nouveau territoire à bâtir, un laboratoire pour une ville festive et écologique. "À condition de respecter les principes de sécurité, dans une région sujette aux ouragans, précise-t-il. La prochaine étape serait un hôtel au milieu de la baie, avec des toboggans qui descendraient directement des chambres jusque dans l'eau!", rêve-t-il.
"Tout est possible, tant que ça rapporte", renchérit Kai-Uwe Bergmann, de l'agence danoise et new-yorkaise BIG, qui regarde monter deux tours résidentielles habilement vrillées à Coconut Grove. "On peut lire dans la skyline toute l'histoire de la région, la crise de Cuba, les dictatures d'Amérique du Sud, les vagues migratoires successives. La ville a traversé plusieurs cycles de croissance et de dépression, mais celui-ci est incontestablement une renaissance. On construit beaucoup mais bien et beau. La ville a mûri, elle investit dans ses équipements culturels et pour son image. Il faut quand même être attentif à ne pas perdre l'âme des lieux avec des bâtiments tous plus spectaculaires les uns que les autres", tempère-t-il, en se demandant ce qu'il adviendra si les prévisions météorologiques se confirment sur la montée des eaux, qui menace Miami. L'associé de Bjarke Ingels imagine déjà travailler sur le plan d'urbanisme pour la sauver du sort de l'Atlantide et la transformer en Venise américaine.